Inanna, Monde d’en Bas et Mariage Sacré
Article de Patricia Buigné-Verron www.mouvement-interieur.org
Inanna est une déesse sumérienne dont on a retrouvé trace sur des tablettes d’argile gravées en écriture cunéiforme. Les deux extraits ci-dessous sont une « adaptation libre » de sa mythologie. Ils constituent deux passages d’un texte plus complet qui souhaite explorer, à travers diverses mythologies, un Féminin authentique oublié.
Descente dans le Monde d’en Bas
Je descends dans l’obscurité de l’humanité…
Je dois passer sept portes, toutes gardées par un portier
Qui veille à ce que la règle antique soit respectée.
A chaque porte, je dois décliner mon identité :
« Je suis Inanna, de là où le Soleil se lève ! »
Mais dans ce pays d’ombre, le portier n’en n’a cure,
Et chaque fois, il me demande de me défaire d’une de mes parures.
Je m’incline et lui laisse successivement ma couronne, mes bijoux de front, mon module de lazulite,
Mon collier, mes perles-couplées, mes bracelets, mon cache-seins et mon manteau royal…
Et pendant tout ce temps, inexorablement, je descends… je descends…
Je suis le grain qui meurt et je suis la terre qui enfouit le grain.
Tandis que le portier me déshabille de mes enveloppes,
Au cœur du grain, le germe se développe.
Et, si progressivement j’agonise,
Assurément je me végétalise.
Dépositaires de mes rituels, vos évangiles disent :
« Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ;
Mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruits »
Et toujours, je descends… Je descends…
Mes sept étapes sont mon chemin de joie.
Chacune d’elle me plonge dans l’émoi
Tandis que se dissout tranquillement mon « moi ».
Ma descente devient danse décente
Où je dévoile ma pudique nudité
Tout en jouant avec mes voiles :
Voilée… dévoilée…
Je suis celle que vous voulez… Je suis celle que je suis…
Je suis celle que vous voilez… Je suis celle que voilà…
Et ma danse des sept voiles me fait voyager dans sept niveaux de conscience,
Sept planètes, sept couleurs ou sept chakras, comme vous voilez…
Où chaque fois, je laisse une vieille identité pour mettre à nu ma vérité.
Et encore, je descends… Je descends…
Progressivement, je me rêve-Elle.
Qui ça Elle ? Ma sœur peut-être,
Ou bien encore… la matière originelle, celle dont est faite la matrice profonde.
Celle où beauté et laideur extrêmes s’unissent et se confondent.
Celle où fécondité et pourrissement, harmonieusement mêlés,
Constituent ensemble un processus sacré.
Celle où deux sœurs, de Lumière et d’Ombre
Se trouvent être deux faces d’une même entité.
Ma descente est terminée.
Me voici arrivée.
Dans le Royaume des morts, Ereshkigal m’attend depuis longtemps.
Nue, face à elle, dans le noir regard ma sœur d’En-Bas,
C’est moi-même exilée que je vois dévoilée.
En un instant, dans le miroir de ma profondeur mystérieuse,
Je me réapproprie la part ténébreuse
Que l’on m’avait ravie.
La déesse fragmentée,
Adaptée aux normes collectives,
Refoulant dans l’ombre sa force instinctive primitive,
Retrouve soudain son entièreté.
Sauvée des âges, je redeviens la déesse sauvage.
Alors, autour de moi, tout se met à danser :
Il n’y a plus ni Inanna, ni Ereshkigal,
Ni haut, ni bas, ni vie, ni mort, ni cosmos, ni chaos,
Ni masculin, ni féminin, ni blanc, ni noir, ni passé, ni futur…
Il n’y a que l’Instant Présent,
l’Aventure de la Nature et son Grand Cycle des transformations.
Et donc, je me soumets.
J’entends les Sept Juges du monde d’En-Bas m’annoncer leur sentence,
Et je sens le regard de ma sœur pénétrer ma substance.
Il me lit et me lie tandis que son cri me détruit.
Je suis le grain qui meurt avant d’être plus tard l’épi.
La brillante Ereshkigal prit alors place sur son trône
Et les Anunna, les Sept Juges, articulèrent devant elle leur sentence !
Elle porta sur Inanna un regard : un regard meurtrier !
Elle prononça contre elle une parole : une parole furibonde !
Elle jeta contre elle un cri : un cri de damnation !
La femme ainsi maltraitée fut changée en cadavre
Et le cadavre suspendu à un clou !
Mon corps, en cadavre déshabité
N’est plus que vacuité.
Le clou est le croc du labour
Qui pénètre ma terre en sa Source d’Amour.
Dans mon obscure profondeur,
L’écoulement sanglant est une liqueur de douceur
Répandant sa semence
En ma terre de clémence.
A l’instant où je meurs,
Voilà donc que j’épouse le Grand Taureau fécondateur !
Un échange subtil
Vient de s’opérer
En ma terre fertile.
Je me sens unifiée…
Cependant…
Trois jours et trois nuits – ou peut-être trois mois, je ne sais –
Me seront nécessaires
Pour vivre mes Mystères
Selon le processus sacré de pourrissement…
Le Mariage Sacré
Chaque année, dans ma cité d’Uruk, on célèbre le Mariage Sacré. Il s’agit d’un rituel de fécondité par lequel la Grande Prêtresse, ma divine représentante, va s’unir au Roi, le « taureau fécondant ». Par cet acte, il s’agit d’assurer à la cité, abondance et prospérité, tout en donnant au souverain sa légitimité pour une année. Après quoi, le Roi sera sacrifié pour la communauté. N’ayez crainte ! Il s’agit là d’une métaphore pour dire que le blé dont la graine est enfouie, devra être coupé lorsqu’il sera levé.
Pour l’instant, je veux vous raconter comment mon histoire est jouée, chanté et même dansée,
afin que la hiérogamie – ainsi désigne-t-on l’union d’un humain et d’une divinité – puisse être accomplie dans une divine chorégraphie.
Nous sommes au Printemps, le jour du Nouvel An. C’est le temps des semailles et de l’allégresse, celui d’une nouvelle jeunesse. Mon sanctuaire est en fête. En son centre, on a dressé deux trônes et une Couche Sacrée. Sur cette dernière, des brassées de joncs frais ont été disposées, recouvertes d’un couvre-lit en lin, spécialement confectionné. Au sol, des copeaux de cèdre, parsemés ça et là pour exalter les sens et percevoir l’essence de toute chose, répandent dans l’atmosphère leur subtile fragrance.
Je suis prête.Incarnée dans le corps de ma Première Prêtresse, on vient de me baigner, me parfumer, me parer. J’attends le Roi, dans le rôle de mon amant Dumuzi. Le voici justement qui arrive. Il porte ses rituels atours avec, sur sa tête, la perruque couronnée. Ses bras sont chargés de cadeaux qu’il dépose à mes pieds. Je suis séduite. Nous prenons place sur les trônes pendant que, selon la liturgie établie, l’assistance entonne des chants d’amour dans un refrain scandé. L’époque est sans tabou et les mots sont directs :
O mon Amant, cher à mon cœur,
Le plaisir que tu donnes est doux comme le miel !
O mon Lion cher à mon cœur,
Le plaisir que tu me donnes est doux comme le miel !
De plus en plus puissantes, les voix s’élèvent vers les cieux, tirant de leur transport des accents « mêle-aux-dieux ». Les lyres et les flûtes se mettent à jouer invitant les prêtresses à danser pour les dieux. Alors le Serpent, transparaissant dans leur corps ondulant, s’enroule et se déroule jouant avec leur voile qui vole et les dévoile. Du ciel à la terre et de la terre au ciel circule l’onde d’amour. Le moment est intense. Transportée par la cadence, l’assistance bascule dans une « transe-en-danse ». Je me sens enfiévrée. J’entraine le Roi vers la Couche Sacrée pendant que le chœur continue à chanter :
«Epoux laisse moi te caresser. Mes caresses sont plus douces que le miel.
Dans la chambre nuptiale, laisse-nous jouir de ta beauté généreuse.
« Déesse, j’accomplirai pour toi les rites qui me confèrent la royauté.
Je suivrai pour toi le modèle divin ».
Alors l’invitation se fait plus claire et plus directe :
« Viens labourer ma vulve, homme de mon cœur » !
Amoureux sumériens
Bientôt en grand émoi, j’attire le Roi vers moi. Au cours de mille caresses, d’ivresse et d’allégresse ma vulve est labourée et la graine déposée. Mon corps-terre est comblé et mon âme, embrasée. La végétation va pouvoir pousser.
Je souhaite à mon Roi-Dumuzi belle souveraineté et longue vie et lui remets les royaux insignes, l’anneau et la baguette, comme gage de l’union du féminin et du masculin, et aussi bien sûr sa couronne et son sceptre. Par ce geste, je l’investis dans son viril pouvoir et le consacre Roi de statut divin. Qui donc sait encore que la monarchie « de droit divin » provient de ce rituel ancien ?
Cette joie que j’apporte n’est pas que pour le Roi.Tout le monde y a droit. Ainsi, j’envoie ma fidèle servante chercher les hommes aux champs. Ils entonnent mes chants et viennent ensemble jusqu’à mon temple, ce lieu sacré où des Prêtresses d’Amour qui leurs sont réservées vont les aimer activant dans le cœur de ces fiers laboureurs, l’étincelle qui jaillit dans le ciel lorsque s’unissent les corps et dont l’éclat perdure dans l’abondance de leur future récolte. Ces Prêtresses d’Amour, si dévouées à mon culte, vos historiens les ont, moins joliment, nommées « prostituées sacrées ».
De mes chants liturgiques, je n’ai livré qu’une parcelle mais le « Cantique des Cantiques » les reprend, en plus édulcorés..Ah, si mon présent récit pouvait réveiller la vivante expérience de l’Amour humain transcendée par l’Amour divin !
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